Charlie Chaplin • Photo 36142761 / Chaplin © Martial Genest | Dreamstime.com
Charlie Chaplin vit le jour le 16 avril 1889 dans une famille anglaise plutôt miséreuse. Son père, alcoolique et violent, était souvent absent et sa mère, Hannah, souffrait d’une maladie mentale qui lui imposait de longs séjours en hôpital psychiatrique. Aux côtés de son frère, Sydney, de quatre ans son aîné, Charlie vécut ainsi une enfance chaotique et difficile. À l'âge de cinq ans seulement, il dut remplacer sa mère au pied levé sur la scène d’un music-hall minable où cette dernière était censée se produire. Cette étrange expérience fit naître en lui le goût du contact avec le public, une émotion qui ne le quitta jamais. À dix ans, il devint membre de la troupe de danse de sabots The Eight Lancashire Lads, avec laquelle il se produisit sur la scène de plusieurs music-halls anglais. Cette tournée confirma la profondeur de sa vocation naissante : c'était décidé, il épouserait la carrière de comédien. Trois ans plus tard, il rejoignit la troupe d’un petit théâtre londonien où son talent, son acharnement au travail et son inventivité furent rapidement remarqués. Devant tenir le rôle de Billy dans la pièce Sherlock Holmes, il demanda à Sydney de l'aider à apprendre son texte par cœur. Il entreprit alors une seconde tournée qui le conduisit dans de nombreuses villes anglaises. Il parvint même à faire embaucher son frère au sein de la petite troupe pour un salaire de misère.
À dix-neuf ans, Charlie fut engagé par la compagnie de théâtre Fred Karno avec laquelle il eut l’opportunité de partir aux États-Unis. Repéré par les professionnels de la toute nouvelle industrie cinématographique nord-américaine, il signa en septembre 1913 son premier contrat d’acteur avec la New York Motion Picture Company, qui lui proposa un salaire hebdomadaire de 150 dollars. Au sein des studios Keystone, il enchaîna les courts et les moyens métrages, au rythme effréné d’un tournage par semaine en moyenne ! En 1914, il convainquit la direction de Keystone de lui permettre de réaliser son premier film, Caughtin the Rain, qui connut un franc succès. En seulement quelques mois, il parvint à se faire un nom auprès du public, jouissant d’une notoriété grandissante en tant que nouvelle star du cinéma muet. Film après film, il peaufina un personnage loufoque, à la fois comique et mélancolique, parfois un tantinet méchant et sournois. Travaillant sans relâche, il passait des journées entières à construire son personnage, campé devant un miroir, testant mimiques et accessoires afin de rendre sa création plus efficace et toujours plus crédible.
À partir de 1915, Chaplin devint un phénomène culturel remarquable et de nombreuses boutiques se mirent à proposer des produits à son effigie. Première star de l'industrie cinématographique mondiale, il signa un contrat avec la Mutual Film Company qui lui offrit un salaire hebdomadaire de 10 000 dollars, faisant de lui l'un des acteurs les mieux payés au monde. Pari gagné !
Film après film, Chaplin peaufina son personnage d'un vagabond comique auquel il ne donna pas de nom. Pour le désigner, on prit ainsi l'habitude d'évoquer "The little Tramp", littéralement le petit vagabond, ou encore "The Immigrant", l'émigrant. En français, l’un des plus grands producteurs et distributeurs de films de l'époque, Jacques Haïk, en outre découvreur du cinéma de Chaplin, fut vraisemblablement à l'origine du surnom Charlot attribué dans l'hexagone au célèbre clochard de Chaplin.
Dès ses premières apparitions à l'écran, dans des situations variées et souvent cocasses, le personnage de Charlot séduisit le public. Les succès s'enchaînèrent à une vitesse folle, Le Vagabond (titre original : The Tramp – 1915), Charlot boxeur (The Champion – 1915), Charlot à la plage (By The Sea – 1915), L'Emigrant (The Immigrant – 1917), Charlot cambrioleur (Police – 1916), Charlot pompier (The FIreman – 1916), Une Vie de chien (A Dog's Life – 1918), etc. En quelques années, Chaplin devint l'un des hommes les plus célèbres des États-Unis et d'Europe.
Chaplin se montrait sceptique à l’égard du cinéma parlant. Il considérait que ces nouveaux « films bavards » étaient truffés de défauts techniques et dénués du sens artistique qui caractérisait, selon lui, les films muets. Rechignant à changer de formule, il hésitait à « offrir une voix » au personnage de Charlot. En 1928, il débuta le tournage du film Les Lumières de la ville (City Lights), qui s'étala sur plus de vingt et un mois. En quête d'absolu, perfectionniste et méthodique, il composa lui-même la musique du film, celui-ci étant considéré comme l'une de ses œuvres les plus abouties par de nombreux cinéphiles. Alors que les films muets étaient presque devenus anachroniques, City Lights connut un immense succès populaire et rapporta plus de trois millions de dollars à ses producteurs. Chaplin entreprit alors un long voyage introspectif en Europe et en Asie, en quête de sens et cherchant à se renouveler. Il finit par renouer avec le cinéma pour le tournage du film Les Temps modernes (Modern Times) qui dura dix mois. Sortie sur les écrans en 1936, cette satire du monde moderne, du travail à la chaîne, du stakhanovisme soviétique et du productivisme décomplexé – aux dires de Chaplin lui-même – mettait en scène le personnage du clochard malicieux aux prises avec les conditions de vie des plus pauvres en pleine Grande Dépression. Chaplin eut initialement l'intention d'utiliser des dialogues parlés mais il se ravisa après avoir mené plusieurs auditions qu’il jugea décevantes. Il eut juste recours à quelques effets sonores pour illustrer certaines scènes et interpréta lui-même une chanson en charabia qui constitue l’unique voix donnée par Chaplin à son célèbre vagabond dans toute sa filmographie.
Au tournant des années 1940, la vie privée et la carrière de Chaplin furent profondément bouleversées. L’artiste exprima publiquement ses convictions politiques, affirmant être très inquiet face à la montée, un peu partout dans le monde, d’un nationalisme aux accents belliqueux. De nombreux critiques se mirent à dresser la liste des étranges similitudes qu’ils affirmaient constater entre Adolf Hitler et Charlie Chaplin : des dates de naissance séparées de seulement quatre jours, le passage fulgurant d'une anonyme pauvreté à une renommée mondiale, le port d’une moustache semblable… Ces soi-disant ressemblances alimentèrent l'intrigue du film Le Dictateur (titre original : The Great Dictator – 1940) dans lequel Chaplin dénonça le fascisme et proposa une satire délirante d'Adolf Hitler ainsi que de Benito Mussolini. Le tournage du film débuta en septembre 1939, six jours après la déclaration de guerre entre la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Chaplin opta cette fois pour l'utilisation de dialogues parlés tant il lui semblait crucial de délivrer un message politique fort et sans aucune ambiguïté. Son indépendance financière lui permit de prendre le risque de construire une caricature du fürher sans devoir justifier ses choix auprès de producteurs qu'il jugeait trop frileux pour ce qui concernait le financement de films engagés. Il remplaça le personnage de son célèbre vagabond par celui d'un barbier juif qu'il incarna lui-même. Il tint également le rôle du dictateur, rebaptisé Adenoid Hynkel pour l'occasion. Sorti en octobre 1940, le film fit l'objet d'une onéreuse campagne de promotion, un critique du New York Times le qualifiant de "film le plus attendu de l'année".
Le succès du film fut colossal, malgré une scène de fin souvent vertement critiquée dans laquelle Chaplin abandonnait le personnage du barbier juif pour prononcer un discours long de cinq minutes, filmé en plan serré, le comédien regardant droit dans l’axe de la caméra. Ce vibrant plaidoyer contre la guerre, contre le fascisme sous toutes ses formes et contre l’embrigadement de l’esprit humain, est considéré par de nombreux cinéphiles comme l'élément déclencheur du déclin de la popularité du cinéaste aux USA. Certes, Chaplin fut invité par Franklin D. Roosevelt à lire ce même discours à la radio le 19 janvier 1941, lors de la troisième investiture du président américain. Mais cette prise de position sans équivoque contribua au développement d’une réticence marquée à l’égard des films de Chaplin par les ultra-conservateurs américains, notamment par le puissant directeur du FBI (Federal Bureau of Investigation), Edgar Hoover.
Réprouvant les tendances politiques de Chaplin, Hoover profita de la polémique créée par le discours final du film Le Dictateur pour se lancer dans une campagne de dénigrement, savamment orchestrée, visant à discréditer Chaplin auprès du public américain. La controverse s'intensifia lorsque le cinéaste épousa Oona O'Neill, âgée de dix-huit ans seulement, fille du dramaturge américain et prix Nobel de Littérature, Eugene O'Neill. Le couple resta marié jusqu'à la mort de Chaplin et eut huit enfants.
Hoover détestait ouvertement Chaplin et son cinéma. En homme méthodique et consciencieux, il constitua un dossier qui visait à l’expulser du territoire américain. Il faut dire que le réalisateur, en plus de ses prises de positions politiques considérées par Hoover comme sympathisantes à l'égard du communisme, était réputé pour ses frasques sexuelles avec de très jeunes actrices. En 1918, ses turpitudes morales lui imposèrent de se marier en secret avec l'actrice Mildred Harris, âgée de dix-sept ans, qui affirma être enceinte de ses œuvres. Le 7 juillet 1919, Harris mit au monde le petit Norman Spencer. Mais l'enfant, atteint d'une malformation congénitale, décéda seulement trois jours après sa naissance. Durement affecté par cette perte, Chaplin tenta d'exorciser sa peine avec le tournage du film Le Kid qui débuta en août 1919 et mettait en scène un garçon âgé de quatre ans.
Quelques années après son premier divorce, Chaplin épousa Lita Grey, une actrice âgée de seize ans, rencontrée sur le tournage du film Le Kid. Charlie et Lita divorcèrent en 1927 en raison de l’infidélité chronique du comédien qui entretint de nombreuses liaisons avec de très jeunes femmes, Grey l'accusant même de violence conjugale et de perversion sexuelle. Le dossier patiemment constitué par Hoover aboutit au début des années cinquante au bannissement général de Chaplin. Ce dernier retourna s'installer en Europe aux côtés de sa dernière épouse.
Vous pouvez télécharger et imprimer une fiche contenant toutes les réponses
Créé et incarné à l’écran par Charlie Chaplin lui-même, Charlot est un clochard malicieux et un peu gauche, qui promena sa silhouette familière au fil d’une vingtaine de films, la plupart devenus cultes : Le Kid, Les Temps modernes, La Ruée vers l'or, Le Cirque, Les Lumières de la ville, etc.
Charlot porte un costume dépareillé, composé d’un chapeau melon trop petit pour sa tête, d’une canne de bambou, d’une veste étriquée toujours boutonnée, d’un pantalon trop large, d’une paire de chaussures taille 49 et d’une moustache en brosse à dents. Ce personnage contrasté semble tout droit sorti d'une époque révolue. Il donne l'impression de danser sur une scène imaginaire. Une canne flexible à la main, il marche en canard à la manière d’un enfant hébété. Mi-clown, mi-vagabond, souvent seul et plutôt maladroit, il se confronte aux injustices de la vie avec une surprenante dignité. Incarnant la fragilité humaine, il résiste avec humour à l’adversité. Tour à tour ouvrier, chercheur d’or, prisonnier ou simple vagabond, ce personnage énigmatique conserve toujours son allure innocente et tendre qui fait de lui un héros moderne original.
Charlot ne s'exprime pas avec des mots mais utilise le langage universel du corps pour se faire comprendre. Sa démarche hésitante et gracieuse, ses mimiques inimitables et ses gestes maladroits font subtilement naître de profondes émotions chez le spectateur. Au fil des scènes, il se montre touchant, attachant et délicat, cherchant obstinément sa place au milieu du vacarme d’un XXe siècle bouillonnant et troublé. Chaplin utilisa ce personnage burlesque au grand cœur pour poser un regard critique sur le monde, afin d’en dénoncer les injustices et l’absurdité. Se rangeant obstinément du côté des opprimés, Charlot prouve qu'en dépit des épreuves, la bonté, la compassion et l’humour peuvent triompher des pires difficultés de la vie.
L’œuvre de Chaplin a traversé les décennies sans prendre une ride, marquant le Septième art d’une empreinte indélébile. Ce génie du cinéma muet est parvenu à dénoncer l’injustice sociale caractérisant le monde moderne tout en touchant le cœur des spectateurs. Il a durablement influencé des générations d’artistes, de comédiens, de metteurs en scène et de scénaristes. Ses films, à la fois simples et profonds, ont traversé les modes. Combinant comédie et critique sociale, ils ont utilisé l’humour pour éclairer avec finesse et délicatesse les dérives de notre société. Ils parlent encore au plus grand nombre, des bourgeois aux petites gens, avec une tendresse infinie et une compassion authentique.
Chaplin fut, en outre, un pionnier sur le plan technique. Ses films ont influencé notre conception moderne du cinéma, notamment la direction d’acteurs et la mise en scène. Le réalisateur inventa de nombreux procédés pour parvenir à susciter des émotions complexes sans avoir recours aux dialogues. Son approche, centrée sur le jeu physique et le langage corporel, fut une source d’inspiration pour des générations de réalisateurs, de Jacques Tati à Woody Allen.
L’œuvre de Chaplin a exercé une influence significative sur notre conscience collective. Sa critique de l'extrême mécanisation de nos sociétés (Les Temps modernes) et son appel à l’humanité (Le Dictateur) demeurent d’une surprenante modernité, à une époque où les technologies et les systèmes oppressifs peuplent notre quotidien. Chaplin sut capturer l’esprit de son temps tout en faisant preuve d’une remarquable lucidité. Ses messages d’espoir, de solidarité et d’humanisme sont plus actuels que jamais. Un siècle après la sortie sur les écrans de son premier film, l’héritage de Chaplin perdure. Ses œuvres sont méticuleusement restaurées, projetées et étudiées dans les grandes écoles de cinéma. Les nouvelles générations de cinéphiles et d’artistes redécouvrent avec émerveillement la profondeur et la modernité de son immense travail.
Principalement connu pour son jeu d'acteur, Charlie Chaplin fut aussi un cinéaste hors pair qui maîtrisait tous les aspects de la réalisation. Il tint les rôles de réalisateur, de scénariste, de monteur, de cadreur et parfois même de compositeur. Cette incroyable polyvalence lui permit de créer des films cohérents de bout en bout, chaque détail de la mise en scène étant soigneusement pensé et ne laissant aucune place à l'improvisation. Il supervisait personnellement chaque aspect de la production, s'assurant que les décors, les costumes, les accessoires et la lumière reflétaient précisément l’atmosphère qu’il voulait créer.
En tant que réalisateur, il privilégia souvent des prises de vues longues et continues, tournées en plan-séquence, sans plan de coupe. Cette technique permettait selon lui de renforcer l’aspect théâtral et dramatique de certaines scènes. Au cours de la première moitié du siècle dernier, la plupart des réalisateurs avaient recours à des plans courts et hachés. Le plan-séquence offrait davantage de liberté aux comédiens, tout en incitant le spectateur à se plonger dans l’action, sans être interrompu par un montage exagérément dynamique.
Sur les plateaux de tournage, les exigences et le perfectionnisme de Chaplin s'exprimaient pleinement, le réalisateur n'hésitant pas à tourner de nombreuses prises d'une même scène dans l'espoir de capter l’émotion ou le mouvement idéal. Il demandait à ses comédiens une précision extrême, chaque geste devant être exécuté conformément au script. De longues répétitions précédaient les tournages afin que les acteurs et les techniciens fussent parfaitement rodés. Seul un tel apprentissage garantissait, selon lui, la fluidité de l'action sur le plateau, même si le résultat final pouvait donner au spectateur une délicieuse impression d'improvisation.
Chaplin utilisa à maintes reprises des décors qui, bien que simples en apparence, servaient des fins comiques ou émotionnelles sophistiquées. Son sens aigu de l’espace, doublé d'un véritable talent pour la création d'effets visuels percutants, lui permit de jouer avec les perspectives et l'équilibre des scènes afin de renforcer l'impact émotionnel ou humoristique de son œuvre. Au cours des années 1930, il inventa ou perfectionna de nombreuses techniques d'éclairage afin de jouer avec les ombres et la lumière pour souligner tantôt la solitude de Charlot, tantôt sa mélancolie, tout en créant un contraste fort avec des scènes plus légères.