L'apprentissage de la bicyclette, une étape clé vers la liberté • Photo 79056713 | Bicycle © Syda Productions | Dreamstime.com
Nous avons tous en tête la chanson d'Yves Montand, À Bicyclette, qui conte les premières aventureuses amoureuses de Paulette, la fille d'un facteur, parcourant à vélo depuis son plus jeune âge les chemins environnants.
Quand on partait de bon matin,
Quand on partait sur les chemins,
À bicyclette,
Nous étions quelques bons copains,
Y’avait Fernand, y’avait Firmin,
Y’avaitFrancis et Sébastien,
Et puis Paulette.
On était tous amoureux d'elle,
On se sentait pousser des ailes,
À bicyclette…
Emblème de liberté, de vacances et d’évasion, le vélo et ses nombreuses variantes – tandem, VTT, vélo à assistance électrique, vélo de ville, cargo, vélo de course, vélo de route, etc. –, a connu de nombreuses évolutions depuis ses balbutiements, au début du XIXe siècle.
L’invention du vélo est communément attribuée au baron Drais von Sauerbronn, dit Karl Drais. Né le 29 avril 1785 à Karlsruhe, en Allemagne, Drais étudia les mathématiques, la physique et l'architecture à l'université d'Heidelberg. En 1811, il quitta ses fonctions d’administrateur des eaux et forêts au Grand-Duché de Bade pour se consacrer à sa passion : le métier d'inventeur. Il créa tout d’abord un nouveau type de poêle, plus économique, puis une machine capable de transcrire sur une partition des notes jouées au piano. Il imagina ensuite un char à quatre roues, mis en mouvement par l’action des jambes de son conducteur. Présentée au tsar Alexandre 1er, cette invention fit grande impression, incitant Drais à l'améliorer pour créer une sorte de machine à courir dont la première démonstration eut lieu à Mannheim, le 12 juillet 1817. Cette draisienne était équipée de deux roues, montées sur une poutre centrale sur laquelle le conducteur s’asseyait à califourchon, utilisant la force de ses jambes pour avancer. La roue avant, munie d’une direction à pivot, permettait de guider l'engin. Lors de sa première sortie, la draisienne parcourut 14,4 km en un peu plus d’une heure, entre Mannheim et le relais de poste de Rheinau. Elle fut brevetée en 1818 sous le nom de vélocipède – du latin velox, velocis (véloce) et du suffixe pède (pieds).
En Allemagne, l’invention de Drais tomba rapidement dans l'oubli et son créateur disparut en 1851, complètement ruiné. En France et en Grande-Bretagne, quelques artisans fabriquèrent des déclinaisons du vélocipède de Drais, dotées d'améliorations visant principalement à en diminuer la masse. La poutre centrale fut ainsi remplacée par une tige de fer et des roues métalliques vinrent se substituer aux roues de char utilisées sur le modèle original. Afin de rendre la conduite plus sure, la direction fut perfectionnée et un frein fut ajouté aux modèles les plus élaborés.
En 1839, Kirkpatrick Macmillan, un forgeron écossais, dota la machine à courir de Drais de deux leviers, reliés à la roue arrière par des bielles rigides. Ce système permettait à l’utilisateur de faire avancer son vélocipède en effectuant avec les pieds des mouvements de va-et-vient, d'avant en arrière. Cette amélioration augmenta considérablement la vitesse de la draisienne, au-delà de 20 km/h.
En 1860, Pierre Michaux et son fils Ernest, tous deux serruriers, eurent l’idée d’ajouter des repose-pieds à la draisienne de Macmillan. Pour davantage de confort et de simplicité d'utilisation, ils installèrent un pédalier à manivelles, fixé au moyeu de la roue avant. Le succès de cette invention fut considérable et incita les Michaux à se spécialiser dans la fabrication de nouveaux modèles de draisienne à pédales. Remarquant qu’au-delà d’une certaine vitesse la cadence de pédalage devenait inconfortable, ils augmentèrent le diamètre de la roue avant. En 1865, les Michaux produisirent 400 vélocipèdes. L’exposition universelle de Paris en 1867 contribua à faire prospérer leurs affaires. En 1969, l’entreprise, submergée de commandes, employait 500 ouvriers pour une production quotidienne de 200 machines.
Deux anglais, Rowley Turner et l’un de ses contremaîtres, James Starley, conçurent un vélocipède muni d’une roue avant d’un diamètre de 1,50 m (60 pouces) et d’une roue arrière d’un diamètre de 50 cm. Ce vélo, aux proportions originales, fut surnommé le penny-farthing en raison de la différence de taille de ses roues, évoquant celle existant entre la grande pièce de 1 penny et la petite pièce de 1 farthing, valant 1/4 de penny. Outre qu’il fallait être un véritable acrobate pour se mettre en selle, l’équilibre du vélocipédiste ainsi haut perché était très instable et les accidents furent nombreux. Le grand bi ne pouvait être utilisé que par de jeunes hommes téméraires et sportifs. Il permettait d’atteindre des vitesses relativement importantes, le freinage devenant un réel problème. Le pignon étant fixe à la roue avant, seule la cadence de pédalage permettait de contrôler la vitesse.
En 1877, James Starley dota son grand bi d’un cadre fabriqué à l'aide de tubes d’acier, allégeant le vélocipède et augmentant sa durée de vie.
Dès 1869, le français André Guilmet construisit un vélo équipé de roues de tailles identiques et doté d’un pédalier central qui transmettait le mouvement des jambes à la roue arrière au moyen d'une chaîne. Inventée par Léonard de Vinci, la chaîne avait été utilisée par Jacques Vaucanson près d'un siècle plus tôt pour animer des automates. Malheureusement, Guilmet fut tué pendant la guerre de 1870 et sa machine resta à l'état de prototype. En 1880, l’ingénieur anglais Henry John Lawson, reprenant le principe de la transmission du mouvement à l’aide d’une chaîne, mis au point un engrenage plus grand à l’avant (plateau) qu’à l’arrière (pignon). En faisant tourner la roue arrière plus vite que les pédales, ce mécanisme permettait à la bicyclette de Lawson d’atteindre une bonne vitesse sans qu’une roue de grande taille ne fut nécessaire.
5 ans plus tard, souhaitant offrir au cycliste une position plus confortable, l'industriel anglais John Kemp Starley mit au point la Rover Safety Bicycle, une bicyclette de sécurité, dotée de roues de diamètres raisonnables et identiques, d’un pédalier et d’un système de transmission par chaîne. Starley conçut également une selle réglable en hauteur et en longueur, adaptable à la morphologie du plus grand nombre. Bien qu'il fut accueilli avec scepticisme par les amateurs du grand bi, ce vélo révolutionnaire bouleversa les mentalités et les usages et parvint à séduire de nouveaux adeptes des promenades à bicyclette.
Les détracteurs du Rover se turent lorsqu’ils constatèrent que ce vélo surpassait le grand bi dans les courses de vitesse. Les améliorations qui y furent apportées au fil des années contribuèrent à l’essor de ce précurseur de la bicyclette moderne. Hans Renold, un ingénieur zurichois expatrié en Angleterre, améliora la durabilité et la fiabilité de la chaîne du Rover, en la dotant de rouleaux d’usure. L’entreprise Renold est encore aujourd’hui l’un des leaders mondiaux de la fabrication de chaînes.
En 1889, Starley franchit un nouveau cap dans la démocratisation de la bicyclette en proposant un modèle Rover pour dames, doté d’un cadre bas facilitant l’enfourchement et d’un garde-jupe. Avec un prix nettement plus bas que celui des modèles précédents, ce Rover pour dames séduisit les classes populaires. En 1891, Edouard et André Michelin conçurent un pneu démontable muni d’une chambre à air, destiné à remplacer le boyau plein.
Vers la fin des années 1890, le système de roue libre fut mis au point. Avec lui, la roue arrière restait entraînée par le pédalier mais l’inverse n’était plus vrai. Lorsque le cycliste pédalait, un cliquet venait se bloquer contre un rochet et la rotation du pignon entraînait naturellement celle de l’axe de la roue. À l’inverse, lorsque le cycliste cessait de pédaler, le cliquet échappait avec un bruit de cliquetis caractéristique, tic-tic-tic-tic… Le pignon denté n’entraînant plus la rotation de l’axe de la roue, le vélo continuait sur sa lancée, même si les pédales restaient immobiles.
Au début du siècle dernier, les agents de polices furent équipés d’une bicyclette dotée de deux roues de taille identique, d’une transmission par chaîne et de pneumatiques démontables, gonflés à l’air. Baptisée Hirondelle, cette bicyclette donna rapidement son nom aux forces de l’ordre auxquelles elle offrait un moyen de locomotion rapide et sûr. En 1908, l’invention du dérailleur par Paul de Vivie permit de doter les bicyclettes d’une sorte de boîte de vitesses. Par déplacement de la chaîne, le dérailleur permettait de changer de plateau ou de pignon afin d’adapter l’effort à fournir au profil de la route ainsi qu'au dénivelé.
Aujourd’hui, la bicyclette poursuit son évolution, principalement grâce à l’utilisation de nouveaux matériaux, plus légers, plus solides et plus esthétiques. Elle possède de nombreuses déclinaisons : vélo de ville, vélo de route, vélo de course, vélo tout-terrain (VTT), vélo tout chemin (VTC), vélo acrobatique (BMX), vélo pliant, vélo cargo, vélo couché, tandem, vélo à assistance électrique... Ce dernier connait depuis quelques années un succès fulgurant, notamment en milieu urbain. Son invention n’est pourtant pas récente puisqu'elle remonte à la fin du XIXe siècle. À cette époque, le vélo à assistance électrique comportait 1 ou 2 moteurs alimentés par une batterie et installés dans les roues ou dans le pédalier. Le développement fulgurant de la motocyclette, équipée d’un moteur à essence, eut raison du vélo électrique, jusqu’à ce que les considérations environnementales lui rendent ses lettres de noblesse.
Conçue pour être enfourchée par deux personnes, la bicyclette à deux places symbolise pour ses adeptes la collaboration et le plaisir partagé, dans une tradition de convivialité et d’aventure. Les premiers tandems, rudimentaires et peu pratiques, apparurent à la fin des années 1830, peu de temps après l'invention du vélocipède. Il fallut attendre le début des années 1890 pour assister à son essor, à la fois dans les loisirs et en compétition, lorsque quelques fabricants lui appliquèrent les recommandations de conception regroupées sous le label de bicyclette de sécurité (safety bicycle).
Ce standard de conception, apparu dans les années 1880, proposait une alternative technologique au grand-bi. Il n’imposait pas encore des roues avant et arrière de même dimension mais introduisait de nombreuses caractéristiques que l’on trouve dans nos bicyclettes modernes : un système d’entraînement direct utilisant une chaîne couplant un grand pignon avant à un petit pignon arrière, un pédalier relié directement à la roue arrière, un guidon mobile associé à la roue avant… Plus stables, plus sûrs et plus maniables, les modèles de bicyclettes à deux places s’appuyant sur ce standard furent encore perfectionnés au début du XXe siècle, notamment avec l’introduction de systèmes de freinage plus efficaces et plus robustes. Le tandem connut son âge d’or dans les années 1920 et 1930, en particulier en Europe et en Amérique du Nord. Son utilisation fut particulièrement populaire pour les sorties en famille, les excursions touristiques et même les courses cyclistes. Ce succès incita les fabricants à rivaliser d’ingéniosité pour proposer des modèles variés, faisant appel à différents matériaux, proposant de nouveaux designs, offrant de meilleures performances aérodynamiques et garantissant un confort d’utilisation accru. Dès leur apparition, les tandems ne furent pas seulement utilisés pour les loisirs. Ils occupèrent une place de choix dans les compétitions cyclistes dès les années 1930, notamment sur piste, mettant en avant la coordination et la synergie entre deux athlètes. Le tandem fit son apparition aux Jeux Olympiques d'été de 1908 et des épreuves de sprint sur piste se tinrent ainsi jusqu'en 1972. Aujourd'hui, le tandem séduit un public varié, des passionnés de cyclotourisme aux adaptes du cyclisme de compétition en passant par les amateurs d'activités de plein air. Il permet en outre aux personnes malvoyantes de s’adonner en toute sécurité au plaisir du vélo.
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Au XIXe siècle, en dépit de l’essor progressif des deux-roues, la gent féminine ne put librement s’adonner à la pratique de la draisienne, du grand bi et du vélocipède. Les codes vestimentaires en vogue à l’époque étaient particulièrement contraignants pour la plupart des femmes. Celles-ci vivaient engoncées dans des corsets baleinés et lacés qui rehaussaient leur poitrine et serraient leur taille afin d’affiner leur silhouette. Ces armatures comprimaient leur ventre jusqu’à la douleur et provoquaient souvent de terribles irritations cutanées. La mode imposait également aux femmes de porter des jupes volumineuses au-dessus de plusieurs jupons et crinolines, des cerceaux de métal destinés à rendre la silhouette encore plus voluptueuse. À partir de 1870, la mode mit à l’honneur la robe à tournure, une jupe longue construite autour d’une structure rigide qui créait un effet de volume important au niveau des fesses, entravait la marche et n’offrait à celle qui la portait aucune possibilité de s’asseoir confortablement.
En hiver, capes et manteaux épais complétaient cet attirail, rendant tout mouvement encore plus pénible. D’autant qu’une multitude d'accessoires, à l’instar de gants et d’encombrants chapeaux larges et ornés, parachevait cette prison d’étoffe, d’os de baleine, d’osier et de fer. Comment une personne ainsi équipée pouvait-elle espérer s'asseoir sur la selle d'un deux-roues ? D’autant que les premiers modèles de vélocipède, avant l’avènement de la bicyclette de sécurité, étaient onéreux et peu sûrs, leur utilisation ne contribuant pas, à tout le moins aux dires des hommes, à mettre en valeur la grâce et l'élégance naturelle du sexe faible. Le vélo était en outre considéré comme une activité dangereuse pour la santé des femmes. Cette thèse fut largement étayée par des études soi-disant scientifiques, menées par des spécialistes et des experts peu scrupuleux. Dans son essai intitulé L’Hygiène du Vélocipédiste, le docteur Philippe Tissié expliqua que la bicyclette « expose la femme à des dangers d’ordre intime de la plus haute gravité et, détail horrible, elle les enlaidit ». Le manque de fondement de telles hypothèses conduisit à l’abandon de ces théories aussi misogynes que coercitives.
Vers la fin du XIXe siècle, des mouvements visant à réformer les codes vestimentaires féminins émergèrent aux États-Unis et en Europe. Les activistes américaines Amélia Bloomer et Elizabeth Stanton militèrent, par exemple, en faveur de l’adoption par les femmes de tenues plus pratiques et confortables, à l’instar de pantalons bouffants "à la turque" qui offraient une grande liberté de mouvement. Ces féministes d’avant-garde contribuèrent au succès du premier bulletin américain entièrement rédigé par des femmes, The Lily. Elles y dénoncèrent la dangerosité des jupes dans la pratique du vélo et prônèrent le port de pantalons d’ordinaire réservés aux hommes mais permettant aux femmes de pédaler en toute sécurité.
Bien sûr, ces vêtements ne firent pas l’unanimité et de nombreuses personnalités influentes, gardiens fervents d’une longue tradition de misogynie, les critiquèrent vertement. Quelques femmes courageuses adoptèrent les bloomers (nom donné par antonomase aux pantalons bouffants défendus par Amelia Bloomer), indifférentes aux quolibets et railleries, créant une polémique qui sema des graines de liberté dont l’éclosion, des décennies plus tard, contribua à faire profondément évoluer la mode féminine.
En 1881, en pleine époque victorienne, Lady Florence Harberton s’engagea publiquement pour la défense du port par les femmes de vêtements confortables et pratiques. Le mouvement qu’elle fonda, la Rational Dress Society, établit un ensemble de règles caractérisant une tenue féminine idéale, compatible avec de nouveaux usages comme la pratique de la bicyclette : liberté de mouvement, absence de pression sur le corps, juste poids des vêtements… Ce mouvement fut notamment soutenu par l’écrivain et poète irlandais Oscar Wilde dans un essai intitulé Philosophie du vêtement. Critiquant la mode et ses exigences, Wilde mit en lumière l’importance primordiale de la relation entre l’âme d'une femme et sa tenue vestimentaire.
« La mode est une forme de laideur si intolérable que nous devons la modifier tous les six mois ». Oscar Wilde
Dans ce climat agité, quelques firmes développèrent des modèles de vélos adaptés à une clientèle féminine, comme le fabricant anglais Starley Brothers qui créa en 1889 une bicyclette de sécurité pour femmes, dotée d'un cadre abaissé et d’un très efficace garde-jupe. L’adoption du vélo par un nombre croissant de femmes aboutit en 1892 à la fondation du premier club sportif féminin consacré au cyclisme : le Coventry Lady Cyclists. Des femmes s’attaquèrent aux records de vitesse sur route jusqu’alors détenus par des hommes.
En septembre 1893, la jeune cycliste anglaise Tessie Reynolds établit le record du temps de parcours entre Londres et Brighton. Âgée de 16 ans seulement, équipée d’un pantalon bouffant, elle parcourut 190 km en 8 heures et 30 minutes, pédalant sur un modèle de vélo pour homme. Elle devint, dès lors, une icône vivante et un symbole pour la liberté des femmes. En 1894, la cycliste française Lisette de Quintin termina à la huitième place de la course masculine de 100 km entre Longchamp et le Bois de Boulogne, à seulement 11 minutes du vainqueur. Il faudra toutefois attendre 1984 pour que la gent féminine soit autorisée à participer aux épreuves de cyclisme lors des Jeux Olympiques de Los Angeles.
« La bicyclette a fait plus pour l’émancipation des femmes que n’importe quelle autre chose au monde. » - Susan B. Anthony
En temps de guerre, le transport des troupes, du matériel et des marchandises est une préoccupation de tout premier plan pour le commandement militaire. Dès la fin des années 1880, l’armée française a considéré le vélo comme un moyen de transport valable lorsque le terrain se montrait compatible avec son utilisation. Durant la Première Guerre mondiale, plusieurs nations l’ont utilisé pour des missions de reconnaissance et de communication entre différentes unités. Des cyclistes militaires furent chargés de transmettre des messages, évitant les lignes télégraphiques vulnérables aux attaques et aux opérations de sabotage. D’autres unités cyclistes effectuèrent des missions de reconnaissance, explorant le terrain ennemi et rapportant des informations cruciales relatives aux mouvements des troupes. La bicyclette permettait aux soldats de se déplacer rapidement sur de courtes distances.
Pour répondre aux nouvelles exigences de l’armée française, plusieurs projets de bicyclettes pliables furent lancés dès la fin du XIXe siècle. En 1892, l’industriel dauphinois Charles Morel conçut l’un des premiers modèles de vélo pliable de l’histoire. Son objectif consistait à équiper un fantassin d’un moyen de locomotion pratique, simple à plier et suffisamment léger pour être transporté à dos d’homme. Morel décida de s’associer au capitaine d’infanterie Henri Gérard qui portait un projet similaire au sien mais se heurtait à des difficultés techniques insurmontables. Ce partenariat permit aux deux hommes de présenter leur premier vélo pliant au Salon du Cycle qui se tint à Paris en janvier 1894. Le succès fut immédiatement au rendez-vous, l’armée française ainsi que les armées russe et roumaine remplissant le carnet de commande des vélos Gérard.
En 1913, l’armée française constitua dix unités d’infanterie cycliste. 400 hommes furent envoyés en Lorraine pour assurer une surveillance de la frontière entre la France et l’Allemagne. Lorsque la guerre fut déclarée l'année suivante, des bataillons de cyclistes furent créés mais l’utilisation du vélo perdit rapidement son intérêt dans un contexte de guerre de tranchées.
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, l'usage de la bicyclette s'intensifia. Les forces armées allemandes l’utilisèrent dans les campagnes de Norvège et de Pologne, puis au cours de la guerre éclair (Blitzkrieg) pour accroître la mobilité des troupes d'infanterie. L’armée japonaise équipa de vélos quelques milliers de soldats en préparation de son invasion de la Malaisie. Dans l’Europe occupée par les nazis, les mouvements de résistance adoptèrent la bicyclette pour conduire des activités clandestines. Silencieuse, pratique et compatible – jusqu’à un certain point – avec les terrains accidentés, elle permit aux résistants de transporter des messages, des armes, des explosifs et des fournitures médicales essentielles. Ces combattants de l’ombre purent à maintes reprises, grâce à elle, éviter les patrouilles ennemies. Il était simple pour un résistant de se cacher en cas de besoin dans un fossé ou de se faufiler derrière un bosquet d'arbres. Les pénuries de carburant et les restrictions imposées par l’occupant allemand à propos de l'usage des véhicules motorisés conduisirent les civils à préférer le vélo à la voiture pour leurs déplacements quotidiens.
« Que ce soit dans Paris […], en banlieue, dans les grandes villes ou dans les campagnes, l’usage du vélo se confond avec les souvenirs de la Résistance. Résistants de tous âges, de toutes origines, sédentaires ou illégaux, simples exécutants ou grands chefs ″historiques″, le vélo a été leur lot commun ». Henri Noguères, historien et résistant. La vie quotidienne des résistants de l’armistice à la Libération, 1984.
À partir de 1942 le fabricant d’armes anglais Birmingham Small Arms, spécialisé dans la production de fusils et de motocyclettes, conçut le célèbre vélo pliant BSA Airborne pour le compte de l’armée britannique. Cette dernière souhaitait équiper ses parachutistes d’un moyen de locomotion discret léger. Durant le saut, le vélo plié, qui pesait tout de même près de 10 kg, était attaché au ventre du soldat à l'aide d'une sangle spéciale permettant son détachement instantané au moment de l’atterrissage. Entre 1942 et 1945, l’entreprise anglaise produisit environ 70 000 vélos pliants.
L’athlète italien Gino Bartali, vainqueur de nombreuses compétitions cyclistes en tant de paix, s’opposa aux idéaux fascistes et répondit à la demande du cardinal Elia Dalla Coste en s’engageant dans la résistance pour venir au secours des victimes du fascisme. À partir de 1943, il transporta à travers toute l’Italie de faux papiers dissimulés dans le guidon ou dans la selle de son vélo afin de les remettre aux membres de son réseau, contribuant ainsi à sauver plusieurs centaines de vies.
Un pari audacieux entre journalistes sportifs semble être à l’origine du Tour de France. Au début du siècle dernier, Henri Desgrange, directeur du journal L’Auto, réfléchissant à la meilleure manière de booster les ventes de son quotidien, imagina organiser une épreuve sportive susceptible de séduire le public et intéresser les médias. Le cyclisme de compétition étant alors en plein essor, Desgrange parvint à convaincre ses collaborateurs de créer une course de vélos qui se déroulerait sur plusieurs jours et mettrait les athlètes à rude épreuve. La première édition de ce Tour de France eut lieu en 1903, sur une distance de 2 428 kilomètres, parcourue en six étapes reliant les principales villes de France.
Bien que le règlement et les conditions de course fussent encore rudimentaires, la compétition suscita un vif intérêt chez les coureurs ainsi qu’auprès du public et des médias ; pari gagné pour Desgrange et son journal dont les ventes s’envolèrent. À cette époque, le Tour était une course individuelle, chaque sportif pédalant pour son propre compte et ne pouvant compter que sur lui-même pour tenter de s'imposer. Du fait de leur longueur, certaines étapes s'achevaient dans l’obscurité la plus totale. La plupart se déroulaient sur des routes accidentées. Pour les athlètes, ces conditions extrêmes participaient de l’intérêt de la compétition. L’édition 1903 de la Grande Boucle fut remportée par Maurice Garin, un ancien ramoneur devenu cycliste, qui roulait sans casque sur une bicyclette pesant près de 18 kilos. Renouvelée en 1904, la course connut un succès grandissant. Mais des irrégularités et quelques tricheries flagrantes imposèrent à Desgrange d’ajuster le règlement du Tour. Le découpage du parcours fut entièrement revu, passant de 6 à 11 étapes, dont les durées furent considérablement raccourcies afin d'éviter aux coureurs de rouler de nuit. Au fil des éditions, le nombre de spectateurs présents au bord des routes ne cessa de grandir, notamment au départ et à l’arrivée des étapes.
Les modifications de tracé s’enchaînèrent au fil des années et le parcours du Tour de France se rapprocha progressivement des frontières du territoire, notamment en direction de l’Alsace-Lorraine, intégrée à l’Empire allemand depuis le traité de Francfort signé le 10 mai 1871. En 1910, les organisateurs du Tour imposèrent une nouvelle difficulté aux participants. Une étape longue de 325 km, reliant Luchon à Bayonne, fut créée et les cyclistes durent, dès lors, franchir plusieurs cols pyrénéens, parmi lesquels le Peyresourde, l’Aubisque et le Tourmalet. Cette étape de montagne, qui requérait un moral d’acier et des aptitudes physiques exceptionnelles, transforma la course et contribua à forger la légende du Tour. L’année suivante, les coureurs furent invités à se lancer à l’assaut de quelques grands cols alpins, à l’instar du mythique col du Galibier. À partir de 1915, le Tour connut une interruption de 5 ans pour cause de Première Guerre mondiale. Le retour de la course en 1919 s’accompagna de nouvelles règles qui suscitèrent l’enthousiasme des spectateurs et contribuèrent à mieux protéger les coureurs. Le leader du classement général dut, en outre, revêtir un maillot de couleur jaune vif afin de permettre aux autres compétiteurs, au public et aux journalistes de l’identifier facilement.
Ce maillot jaune devint vite indissociable de l’histoire du Tour et son succès incita les organisateurs à imaginer d’autres distinctions. Le maillot vert fut introduit en 1953, en hommage au sponsor de l'époque, La Belle Jardinière. Il est attribué au meilleur sprinteur. Le maillot à pois fut créé en 1975 et est porté par le meilleur grimpeur. Le maillot blanc fut introduit en 1968 pour identifier le meilleur coureur de moins de 26 ans. En 1930, la direction du Tour procéda à une nouvelle révision des conditions de participation à la course afin d'équilibrer les chances de victoire de chacun. Les équipes représentant des marques de cycles furent remplacées par des équipes nationales et cette décision créa une nouvelle dynamique de compétition. Cependant, elle priva l’organisation du Tour des recettes provenant des droits d’entrée payées par les grandes marques et les fabricants de cycles. Il fut donc décidé de créer une caravane publicitaire pour équilibrer les comptes ; la publicité pour des sponsors en tout genre s’empara de l’image du Tour. De 1930 à 1934, l'équipe de France remporta 5 victoires consécutives et entra dans la légende du Tour. Ces succès alimentèrent un sentiment de fierté et d’union nationale. L’édition de 1939 s’acheva peu avant la déclaration de guerre entre la France et l’Allemagne, cette dernière, tout comme l’Italie de Mussolini, ne participant pas à la compétition. Dans la France occupée, malgré la demande pressante des autorités allemandes et l’insistance du gouvernement de Vichy, Jacques Goddet, alors directeur du journal L’Auto, refusa d’organiser la compétition. Une course de substitution fut créée par les autorités collaborationnistes en septembre 1942 sous le nom de « circuit de France ». Ne rencontrant qu'un succès mitigé, cette initiative ne fut pas reconduite l’année suivante. À la libération, Jacques Goddet créa un nouveau quotidien sportif qu’il baptise L'Équipe et dont la première édition parut en février 1946. L’organisation du Tour se modernisa, des innovations techniques et organisationnelles étant mises en place dans le but de renforcer la sécurité des coureurs. Le Tour retrouva les routes de France en 1947. Accompagnant la compétition à partir de 1948, la télévision contribua à rendre le Tour encore plus populaire. Aujourd'hui, cette compétition est un événement majeur du calendrier sportif international. Elle réunit les plus grands coureurs cyclistes au monde et passionne des millions de spectateurs et téléspectateurs.
Face aux enjeux écologiques actuels et à l’augmentation régulière du prix des carburants, de nombreux pays investissent massivement dans le développement d’infrastructures cyclables. Si certains de ses usages reflètent des particularismes régionaux, la bicyclette répond à des préoccupations primordiales et généralisées en matière de mobilité durable, de réduction des émissions carbonées et de questions de santé publique.
Véritables précurseurs de l’utilisation du vélo, les Hollandais se sont très tôt attelés à créer des sentiers réservés aux adeptes du deux-roues à pédales. Durant la Première Guerre mondiale, le gouvernement des Pays-Bas ayant opté pour la neutralité, sa population fut confrontée à de sévères restrictions concernant la distribution d’essence. Des milliers de véhicules motorisées furent ainsi immobilisés dans tout le pays.
Pour se déplacer, de nombreux citoyens hollandais prirent l’habitude d'utiliser un vélo. L'industrie du cycle se développa rapidement et le fameux vélo hollandais fit son apparition. Ce vélo de ville, spécialement conçu pour des déplacements urbains de courte distance, était plus grand qu’un modèle de route. Doté d’un guidon surélevé, il possédait des gardes boues très efficaces afin de protéger l’usager urbain des éclaboussures. Aux Pays-Bas, les pouvoirs publics procédèrent à des adaptations du Code de la route afin de faciliter la cohabitation entre les vélocipédistes et les conducteurs de véhicules motorisés.
Au Danemark, la protection des cyclistes est également prise très au sérieux. À Copenhague, des pistes cyclables ont été aménagées afin de permettre aux nombreux adeptes de la bicyclette de se déplacer aisément entre les banlieues et le centre-ville, en évitant les embouteillages urbains et en délestant les transports en commun, souvent bondés.
Contrairement aux Pays-Bas ou au Danemark, la France, bien qu’elle fut le berceau du Tour de France, accuse un vrai retard en matière d’aménagement du territoire en faveur de l'accueil des deux-roues. Au cœur des villes françaises, les rares pistes cyclables sont souvent discontinues ou interrompues, obligeant les usagers à zigzaguer entre les trottoirs et la chaussée. Depuis le début des années 2010, le développement des vélos en libre-service contribue pourtant à l’adoption de ce moyen de transport par un nombre croissant de citadins.
À Nantes, par exemple, la société Bicloo a enregistré en 2022 une hausse de 14% du nombre de déplacements avec ses bicyclettes, tandis qu’à Lyon, le service Vélo’v a connu une croissance de 16% sur la même période. Cette augmentation du nombre de vélos sur les routes de France exige la mise en œuvre de politiques publiques engagées en matière de création d’infrastructures cyclables garantissant la sécurité des usagers.
En 2021, Paris comptait plus de 300 km de pistes réservées aux vélos. Un nouveau plan bicyclette, qui s’achèvera en 2026, vise à faire de la capitale une ville 100% cyclable, grâce à la création de places de stationnement dédiées, à l'installation de bornes de recharge pour vélos électriques et à la création de 130 km de pistes supplémentaires.
L'Asie n'est évidemment pas en reste de ce mouvement global. Depuis le milieu du XXe siècle, le deux-roues connaît un essor considérable en Chine. Premier producteur mondial de vélos, ce pays est aussi le plus grand consommateur de bicyclettes. Son remarquable développement économique depuis la fin des années 80 conduit à une augmentation du nombre de voitures. Mais le vélo demeure le moyen de transport privilégié des chinois habitant dans les grandes métropoles, dont les rues sont souvent très étroites. Pékin et Shanghai ont adapté leurs politiques de mobilité urbaine afin de faciliter le développement de la bicyclette. En 2022, on estime que plus de 500 millions de vélos circulent à travers le pays. Des dispositions facilitant le partage de deux-roues ont également été mises en place, notamment à Beijing où des vélos en libre-service ont été proposés à la population lorsque la ville a fermé certaines stations de métro pour réduire la propagation du Covid-19.
En Amérique Latine, de nombreuses métropoles prônent désormais l'utilisation du vélo pour les dépacements urbains. Bogotá, en Colombie, bouillonne d’initiatives dans ce domaine, à l'instar de la Ciclovía qui consiste à réserver 127 kilomètres de routes aux cyclistes, marcheurs et autres adeptes du patin à roulettes, les dimanches et jours fériés.