Socrate et Platon devant l'Académie d'Athènes • Photo 33059098 © Anastasios71 | Dreamstime.com
Platon (428 – 348 av. J.-C.) est souvent considéré comme le père de la philosophie occidentale. En 387 avant notre ère, il fonda une académie située près d’Athènes, dévolue à l’enseignement de la philosophie, et qui persista jusqu'en 86 av. J.-C. Il y exerça en tant que professeur durant une quarantaine d’années, proposant à ses élèves de débattre de questions essentielles telles que la justice, les mathématiques, la politique, le savoir, l’esthétique ou l'éthique. L’académie de Platon contribua à la formation de grands esprits et au développement d’idées nouvelles. De nombreux penseurs y étudièrent et y enseignèrent à leur tour, essentiellement des hommes, parmi lesquels Socrate et Aristote.
Platon est célèbre pour sa théorie des formes, selon laquelle le monde sensible – celui que nous percevons et au sein duquel nous évoluons – ne serait qu'une ombre du monde des idées parfaites et éternelles. Il produisit de nombreux écrits, essentiellement sous forme de dialogues mettant en scène des penseurs et des apprentis philosophes. Ces dialogues, construits selon des principes dialectiques récurrents, permirent à l’auteur d’explorer des sujets variés. La passion du philosophe pour la loi et la raison, combinée à une profonde méfiance envers l’individualisme qui émergeait à Athènes, lui firent écrire une œuvre magistrale qui influença durablement l’histoire de la philosophie : La République. Cet ouvrage est sans doute le premier traité complet d’ontologie, de philosophie politique et d’éthique. Platon l’aurait proposé en six livres formant un argument continu, un ouvrage total. Aujourd’hui présentée en dix livres, l’œuvre met en scène le philosophe Socrate, qui fut l’un des précepteurs de Platon, à la fois narrateur direct et contributeur principal. Socrate dialogue avec une poignée d'élèves et de penseurs antiques, notamment les propres frères de l’auteur, Glaucon et Adimante, ainsi que Thrasymaque et Céphale de Syracuse. Au cours d’échanges admirables, ces penseurs examinent méthodiquement la question de la justice afin d’élaborer un ensemble de règles strictes orchestrant le fonctionnement d’une société idéale, qui serait dirigée par des philosophes.
Avec La République, Platon ambitionnait de défendre la justice, qu’il considérait comme la seule réponse acceptable aux défis posés à l’homme et à la cité. La démocratie athénienne était alors sévèrement malmenée par la loi du plus fort : à quoi bon être juste quand les plus forts font la loi ? Platon dénonça avec vigueur et une étonnante modernité les risques de dérives de toute démocratie en démagogie et en tyrannie, l'attrait et le prestige du pouvoir parvenant à corrompre les hommes les plus justes.
Si certaines propositions de La République sont empoussiérées dans leur temps – notamment les thèses eugénistes des livres V et VI –, les idées développées par Platon sur la politique et l'éducation continuent d'influencer les discussions actuelles portant sur la gouvernance et la justice sociale.
Platon introduit la question de la justice dès les premières pages du livre premier de La République. Socrate se rendant au domicile de Céphale de Syracuse, un homme âgé qui possède une importante fortune, interroge son hôte à propos de la vieillesse. Céphale décrit les sentiments de paix et de liberté intérieure qu’il trouve dans le grand âge, se vantant d’être désormais maître de ses désirs charnels et de s’être débarrassé de toute intempérance. Socrate souligne que la richesse de son interlocuteur contribue peut-être à l’expression d’une telle impression de quiétude. Céphale rétorque que sa fortune lui permet surtout de vivre en homme juste et de n’être jamais tenté de commettre un acte réprimé par la loi. Cette réponse permet à Socrate d'orienter le dialogue sur la nature de la justice. Pour lui, l’homme juste ne devrait pas subir ses désirs mais comprendre la nécessité qu’il a de se soumettre à un certain ordre, la justice ne pouvant se réduire à une question de comportement et d’adhésion à une norme sociale. Les protagonistes participant au dialogue aboutissent à une première définition de la justice, celle-ci consistant à « faire du bien à ses amis et à nuire à ses ennemis ». Cette idée est critiquée par Socrate qui replace l’intérêt commun de la cité au centre du débat. Pour l’auteur de La République, l’intérêt de la communauté est contradictoire avec l’idée de domination. Il ne peut s’agir de soumettre les individus au pouvoir des maîtres mais plutôt d’exiger d’eux une subordination délibérée, une acceptation obstinée des lois et une reconnaissance de la compétence des dirigeants de la cité. C’est aussi et avant tout une question d’ordre intérieur, chacun devant intimement accepter la valeur ultime de l’intérêt commun afin d’organiser sa vie intérieure en conséquence et de s’occuper de ses affaires. Platon établit, en effet, une correspondance réciproque – un isomorphisme – entre la justice au cœur de la cité et la justesse de l’âme des citoyens. Les contradicteurs de Socrate interrogent le philosophe à propos de la possibilité de gouverner sans dominer ? Socrate propose une nouvelle interprétation du modèle gouvernant-gouverné, s’appuyant sur la tempérance et la justice, prônant l’acceptation intime de l’ordre commun, dans l’intérêt de tous. Pour lui, le véritable berger s’occupe de ses moutons. Il perçoit un salaire non pour les tondre mais parce qu’il prend soin d’eux. La justice, en tant que bien intérieur, ne devrait pas émaner d’une autorité extérieure capable de sanctionner l’injustice de nos actes.
Socrate admet toutefois que sa vision d’une cité idéale, au sein de laquelle chacun choisirait la justice en toutes circonstances, est utopique. Il propose de définir des principes susceptibles de soigner une cité malade, dominée par les marchands, où règnent le luxe et le fracas des armes. Pour Platon, Athènes est en effet malade, gonflée d’individualisme, menacée d’autoritarisme et de tyrannie.
Au fil des échanges, La République dresse un modèle d’organisation et de conduite de la cité, qui repose sur trois fonctions :
• Le gouvernement de la cité, confié aux gardiens
• La police et l’armée, confiées aux auxiliaires
• La production, confiée aux producteurs
Dans ce modèle, les producteurs œuvrent pour créer des biens essentiels. Ils sont cultivateurs, éleveurs, cordonniers ou forgerons. Les auxiliaires veillent à protéger le bien public, ignorant le bien propre, en dépit des épreuves qu’ils traversent au cours de leur éducation. Pour Platon, seul les philosophes, qui ne souhaitent pas exercer le pouvoir, sont à-même de gouverner la cité, sous réserve qu’ils reçoivent une éducation appropriée. Cette dernière ne doit pas avoir pour but de former des hommes politiques mais bien d’aiguiser l’esprit des apprentis en les confrontant aux questions cruciales posées par les mathématiques, la musique, la philosophie et l’éthique.
Les livres III et IV de La République sont consacrés à l’étude des principes d’éducation des futurs gardiens de la cité. Éduquer, c’est, selon Platon, permettre à l’élève de concilier ardeur et douceur. L'auteur utilise la célèbre allégorie de la caverne pour expliquer que chaque individu naît enfermé sous terre, l’éducation ayant pour objectif de révéler le métal dont il est fait par nature : l’or pour les gardiens, l’argent pour les auxiliaires, le fer et le bronze pour les producteurs. L’éducation doit permettre à l’élève de passer de l’illusion – symbolisée par les ombres des objets projetées sur le mur de la caverne, révélées par le feu qui s’interpose entre l’objet et l’observateur – au vrai.
Ces principes platoniciens sont durs, à la limite de la tyrannie. Ils combinent le désir de comprendre, la peur, la contrainte et même la souffrance de l’élève. Pour Platon, tous les apprentis ne parviendront pas à quitter la caverne. La révélation progressive, par le truchement de l’éducation, de la nature de chacun permet de choisir dès l’enfance les futurs auxiliaires et gardiens de la cité. Dans les démocraties modernes, le leadership, la capacité à gouverner et l’autorité naturelle sont les aptitudes recherchées chez les dirigeants. Mais pour Platon, de telles capacités sont incompatibles avec l’exercice du pouvoir, parce qu’elles font naître chez celui qui se trouve tout en haut le désir d’y rester. Seul le philosophe, qui désire ardemment redescendre dans la caverne pour s’occuper de choses essentielles, est compatible avec le modèle de gouvernance exposé dans La République. Le philosophe qui redescend ainsi sous terre va pétrir, tramer et forger les caractères faibles et forts des apprentis, selon des principes d’harmonie civique, de paix et de concorde.
Platon reconnaît quatre vertus cardinales chez les citoyens :
• La modération ou la tempérance, qui caractérise les producteurs, ces derniers acceptent la domination des dirigeants
• Le courage, qui concerne les auxiliaires, ces derniers veillant au respect des décrets posés par les dirigeants
• La sagesse, qui qualifie les dirigeants, ces derniers prenant de bonnes décisions
• La justice, qui « confère à la tempérance, le courage et la sagesse, la capacité de se produire et garantit la sauvegarde de leur existence ».
Ces vertus constituent en quelque sorte la grammaire de la vision platonicienne d’une cité parfaite, permettant à chaque classe de faire ce qu’elle est sensée faire. Platon intériorise ces vertus dans l’âme humaine puisque, selon lui, la liberté intérieure ne peut s’accommoder du tiraillement qui grandit en l’homme lorsque celui-ci vit sous l’emprise de ses pulsions. La raison doit commander à la partie impétueuse de l’âme humaine et non l’inverse. Platon décrit l’injustice comme une maladie de l’âme.
Dans son modèle de république idéale, Platon postule en premier lieu un principe d’égalité entre hommes et femmes. L’éducation proposée aux deux sexes doit être identique, rien ne justifiant l’exclusion des femmes des activités masculines. « Si donc nous exigeons des femmes les mêmes services que des hommes nous devons les former aux mêmes disciplines ». Bien sûr, le philosophe considère que les différences d’intensité et de force constatées entre l’homme et la femme nécessitent de sélectionner certains individus plutôt que d’autres dans l’attribution des rôles et responsabilités.
Platon pose ensuite un principe de mise en commun qui ne concerne cette fois que les auxiliaires et les gardiens. Les citoyens des deux classes dirigeantes doivent être dépourvus de propriété privée, à l’exception, sans doute, de leurs vêtements. Aucun ne peut posséder de bien matériel et les corporations elles-mêmes (Auxiliaires et Gardiens, considérés en tant que groupes ou classes sociales) n’en possèdent pas davantage. Les producteurs en revanche sont propriétaires de leurs ateliers, terres, outils ou troupeaux. Par leurs activités productives, ils payent le salaire des auxiliaires et des gardiens de la cité. Cette version platonicienne du communisme, contrairement au marxisme, exclue la mise en commun des moyens de production.
Les auxiliaires et les gardiens procèdent à la mise en commun des femmes et des enfants, aucune femme n’étant autorisée, au sein de ces deux groupes, à vivre en privé avec un homme qu’elle aurait choisi. Des tirages au sort sont utilisés pour appareiller les deux sexes. Afin d’offrir à la cité des enfants vertueux et de perpétuer l'excellence – les citoyens d’élite devant rester avec leurs semblables et se reproduire avec eux –, on n’hésite pas à forcer le sort pour unir les meilleurs citoyens aux citoyennes de même qualité. Platon affirme élégamment que les « dés sont subtils ». Le recours à cette loterie sexuelle truquée par les magistrats ne peut être remis en cause, ce qui évite tout risque de dissension. Une fois formés, les couples seront invités à avoir des relations sexuelles durant la nuit uniquement. Sur le même principe de mise en commun, chaque enfant est enlevé à sa mère au moment de la montée de lait. Cette pratique aboutit évidemment à des risques d’inceste qu’on tempère en appelant frères et sœurs les enfants appartenant à la même génération, leurs parents étant les adultes qui se sont unis 8 à 9 mois avant leur naissance. On limite les autorisations d’accouplement aux frères et sœurs, ce qui protège la cité de l’inceste vertical mais exige de lever l’interdit de la pratique de l’inceste entre fratries issues de générations différentes.
Le troisième principe de Platon concerne la direction de la cité que l’auteur de La République confie exclusivement aux philosophes-rois. Après avoir subi une formation par nature dictatoriale, au cours de laquelle l’apprenti a révélé sa vertu et démontré son excellence, le philosophe peut imposer ses réformes à la cité. En agissant ainsi, il se conforme à l’exécution stricte de son devoir, comme s’il payait sa dette à la société. Du point de vue de sa vocation, il est à contre-emploi de sa nature puisque ses vertus l’éloignent de tout intérêt pour le pouvoir. Il ne tire aucun avantage matériel ou relationnel de cet exercice de gouvernance. C’est juste un homme public, au service du collectif.
Dans le livre VI, Platon s’interroge sur la nature et l’utilité du philosophe-roi. Être philosophe exige selon lui une puissance spécifique qui se nourrit d’une passion pour la vérité et d’une capacité à la rechercher, quel que le soit prix de cette quête. Le philosophe ne formule jamais d’opinion mais cherche à comprendre et à apprendre. Sa pensée, toujours en mouvement, découvre ou invente, réfutant obstinément d’accepter l’ignorance qui consiste à croire que l’on sait quand on ne sait pas.
Les dialogues proposés par Platon entre Socrate et quelques penseurs ont été écrits cinq siècles avant notre ère. Leur lecture et leur interprétation critiques requièrent de prendre en considération les pratiques, us et coutumes en vigueur durant l’Antiquité. Nul ne parlait à l'époque des droits de l’Homme et encore moins de ceux de l’enfant. La justice avait pour enjeu de répartir et de distribuer le bien commun, en attribuant à chaque individu sa juste place. Dans le modèle platonicien dont La République est l’objet, l’individu naissait affublé d’une créance sur la collectivité et non l’inverse. Sa vie était entièrement subordonnée à la persistance et au bon fonctionnement de l’État. Les principes d’égalité présentés par Platon, d’ordre géométrique et non arithmétique, consistaient à créer une justice proportionnelle, dépendante des individus.
Pour critiquer ce texte, il est essentiel de distinguer le plan conceptuel – les idées proposées et leur articulation – de leur mise en œuvre concrète au sein de la cité. Platon lui-même avait, semble-t-il, conscience qu’il est illusoire de créer une république fonctionnant selon les principes énoncés par Socrate. Ainsi, à la fin du livre VII, l’auteur prend de la hauteur par rapport à son texte, faisant avouer à Socrate qu’il a « raconté une histoire grandiloquente, aux vertus poétiques ».
Poursuivant son autocritique dans le livre VIII, Platon prédit la dégénérescence inévitable de la cité, même la plus parfaite, tout homme, aussi éduqué soit-il, étant susceptible de succomber à la corruption. Ce réalisme désespéré n’empêche pas le philosophe de vouloir aimer ce monde et de chercher à y jouer un rôle compatible avec sa propre nature. Il s’agit pour chacun de faire tout ce qu’il peut, du mieux qu'il peut, sans toutefois ignorer les difficultés du monde réel et le caractère corruptible de toute réalisation humaine.
De nombreux ouvrages ont été écrits au fil du temps à propos de La République. Récemment, le philosophe Alain Badiou a proposé un écho contemporain du texte original de Platon. Dans cette forme ludique de modernisation des idées platoniciennes, l'auteur fait référence à notre culture moderne par le biais d'auteurs tels que Shakespeare et Marx, par l'évocation de nos sciences modernes et par de nombreuses références aux technologies les plus récentes. Il ne s'agit pas d'une traduction de La République, mais d'une libre interprétation - tantôt sérieuse, tantôt burlesque - de l'œuvre originale. Florence Dupont propose une remarquable critique de ce livre dans un article paru sur le site web du quotidien Le Monde.
Extrait du livre d'Alain Badiou, La République de Platon.
« La séduction marchande et monétaire a le pouvoir de vider un sujet de ses vertus, de le laisser nu et solitaire. Le sujet, ainsi purifié, est ensuite rempli à ras bord d’insolence futile, d’anarchie autoritaire, de prodigalité avare, d’impudence médiocre. Toutes ces magnifiques dispositions s’avancent, la couronne sur la tête, au milieu d’un cortège infernal où les derniers tubes des radios sont vociférées sur fond de basse qui font boom-boom-boom, comme si la Terre tremblait devant un tel vacarme. Les noms changent les choses. Le mépris de tout ce qui n’est pas votre petite personne s’appelle autonomie du sujet humain. Être débarrassé de tout principe concernant la vie collective s’appelle liberté individuelle. Le carriérisme le plus sauvage prend le nom de réussite sociale. Se soucier tant soit peu des esclaves, des ouvriers, des petits employés, des paysans pauvres est stigmatisé sous le nom de populisme. Vanter les inégalités monstrueuses, la concurrence de tous contre tous et la répression policière des plus démunis s’appelle courage de partir des réalités. À cette école évidemment un jeune passe vite du monde des désirs nécessaires, trop étroits sans doute, dans lequel il a été élevé, à celui enivrant des désirs inutiles pour la satisfaction desquels il est prêt à sacrifier toutes les vérités universelles conquises par la pensée humaine depuis l’aube des temps. »
La République de Platon, par Alain Badiou, édition Fayard, 2014.
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Aristote (384 – 322 av. J.-C.) passa une quinzaine d’années à l’académie d’Athènes, aux côtés de Platon, son fondateur. Après quelques siècles d’un inexplicable oubli, il devint l’un des penseurs les plus influents de la philosophie occidentale. Dans ses travaux, il aborda de nombreuses disciplines, à l’instar de la biologie, de la physique, de la rhétorique et de l’éthique. Aristote proposa une approche méthodique de la connaissance scientifique, articulée autour de trois axes : la science théorique, la science pratique et la science productive, appelée poïétique. La science théorique se compose de la philosophie première, ou métaphysique, de la mathématique et de la physique. La science pratique est le domaine de la politique et de l'éthique. La science productive s’intéresse à la production de biens matériels ou immatériels, extérieurs à l'homme. Elle couvre ainsi l’agriculture et l’architecture mais aussi la poésie et la rhétorique. Dans cette approche, la logique n’était pas considérée par Aristote comme une science à part entière mais en tant qu’instrument, au service de la recherche scientifique.
La nature (physis en grec, qui donna physique en français) tient une place importante dans la philosophie aristotélicienne qui considère que les matières naturelles possèdent en elles-mêmes un principe de mouvement, une dynamique intrinsèque. La physique d’Aristote est donc consacrée à l'étude des mouvements naturels provoqués par les principes propres de la matière.
Pour Aristote, la logique n’est pas une science à proprement parler mais plutôt un instrument déductif, mis au service de toutes les sciences, théoriques et pratiques. Espérant réformer les démarches logiques conduisant à des sophismes (impasses logiques), Aristote proposa la première nomenclature intégrale des syllogismes. Dans cette logique, toute démonstration scientifique doit s’effectuer en utilisant des prémisses à la fois nécessaires et vraies. Les syllogismes aristotéliciens ne se fondent donc pas eux-mêmes mais doivent s’appuyer sur un caractère de vérité naturelle, si possible incontestable, obtenu par une démarche inductive, issue de notre perception sensible des objets observés.
Exemple de syllogisme :
• Les hommes sont mortels, prémisse majeure, avérée
• Les Grecs sont des hommes, prémisse mineure, avérée
• Conclusion => Les Grecs sont mortels
Aristote considère l’homme comme une forme d’aboutissement de la nature, cette dernière nous ayant pourvus des moyens sensibles nécessaires et suffisants pour comprendre ses fondements. L’homme est ainsi un animal parfait, le plus naturel qui soit, sa station debout le rapprochant du divin. Descartes s’opposa à Aristote en affirmant que « la perception ne nous enseigne pas la nature des choses mais ce en quoi elles nous sont utiles ou nuisibles ». Pour Galilée, « la nature étant écrite en langage mathématique, sa connaissance exige d’étudier les relations entre de multiples quantités, par le truchement de lois physiques ».
Pour Aristote, au contraire, seules l’expérience et la perception donnent accès à la science et à l’art. Il suffit de percevoir, de manière répétée et avec méthode, pour être en mesure de comprendre le monde. Dans cette vision, nous partageons avec les animaux des capacités de perception et des facultés de mémorisation. Mais seul l’homme est capable d’organiser, de déduire par la logique, de classer et de raisonner.
Trois générations avant Aristote, le philosophe Démocrite (460 – 370 av.J.-C.) établit, à partir des thèses de son maître grec Leucippe, la première théorie connue de la matière. Son objectif consistait à rendre compte de manière rationnelle des phénomènes naturels à partir d’un petit nombre de principes. Très en avance sur son temps, Démocrite est souvent considéré comme l’un des fondateurs de la physique moderne, par essence quantitative. Aristote pratiqua au contraire une physique qualitative, visant à expliquer les phénomènes naturels à partir de principes eux-mêmes naturels.
Aristote fut avant tout un finaliste et un fixiste. Selon lui, chaque élément (végétal, animal, humain…) possède une finalité propre. Dans une nature, à la fois bien faite et équilibrée, chaque être est intrinsèquement organisé en fonction de sa finalité, selon une structure immanente et éternelle, privée d’évolution, la multiplicité des êtres témoignant de la perfection de la nature.
La cosmologie aristotélicienne n’échappe pas à ces principes. S’il ne se posa pas la question de l’origine de l’univers, Aristote s’intéressa au mouvement des corps célestes. Selon lui, des sphères concentriques, se déplaçant dans un univers fini, portent l’ensemble des astres, notre Terre occupant, bien évidemment, le centre du système.
Aristote consacra plus d’un quart de son œuvre à la biologie, produisant notamment la première étude systématique du règne animal. Il s’intéressa aux organes sexuels et à la reproduction animale, à l'étude du lait et du sperme, à la différenciation des sexes, à la comparaison méthodique des modes de déplacement des animaux, ainsi qu'à l’alimentation et aux modes d’organisation sociale. On ignore comment Aristote parvint à collecter et à traiter les informations nécessaires à ses travaux. Comme il fut le conseiller d’Alexandre le Grand durant 5 ans, certains ont émis l’hypothèse, aujourd’hui démentie, que ce grand conquérant lui aurait fourni de nombreux spécimens. On sait simplement que le philosophe travailla en équipe et fit preuve d’une extrême rigueur.
Aristote s’opposa ouvertement à l’organisation platonicienne de la cité, réfutant notamment le rôle attribué par Platon aux philosophes-rois. Pour Aristote, les constitutions sont évolutives par nature et la dissension, voire la révolte, sont parfois nécessaires pour préserver l'équilibre de la cité. Platon exprima une conception cyclique de la politique, alternant tyrannie, démocratie, démagogie et oligarchie. Aristote, au contraire, proposa un modèle de gouvernance de la cité reposant sur la recherche d'un équilibre (un régime impur mais stable), fait d’un subtil mélange de démagogie et de démocratie. Dans cette vision, une multitude d’individus, qualifiés dans différents domaines, étaient chargés d’appliquer la loi.
Pour Platon, les individus venaient au monde avec une âme d’or, d’argent ou de bronze, l’éducation ayant pour mission de révéler leur nature afin d’attribuer les fonctions dans la cité sur la base de ces déterminants intrinsèques. Aristote, quant à lui, affirmait que la vertu et l’art politique s’enseignent et peuvent intéresser de multiples catégories de personnes. Pour Aristote, « l'homme est par nature un animal politique », c’est-à-dire un animal social, qui vit dans au cœur de la cité (polis), aux côtés de ses semblables. Les membres d’une société sont contraints d’apprendre à vivre ensemble. L’entraide, la coopération et la solidarité leur permettent de se protéger du froid et des intempéries, de faire face au danger et de mettre en commun des compétences variées. La spécificité humaine résulte de l’existence d'un langage qui permet d’exprimer un jugement. Pour qu’une communauté humaine soit durable, il est en effet nécessaire qu’elle instaure des règles de vie en collectivité, fondées sur la notion de justice. Pour Aristote, vivre en communauté est une nécessité naturelle pour l’homme.
Voici un podcast intéressant, analysant de manière simple et détaillée la célèbre maxime d'Aristote : "l'homme est par nature un animal politique".
Les idées et les pensées de Socrate (470 – 399 av. J.-C.) nous sont parvenues de manière indirecte et sans doute parcellaire, grâce aux dialogues de Platon. Socrate n’a en effet produit aucun écrit et nous avons peu de certitudes à propos de sa vie. Dès l'âge de 35 ans environ, il commença à enseigner dans des lieux publics, sans contrepartie financière. Il s’opposa ainsi aux sophistes de l’époque qui exigeaient d’être chèrement rémunérés pour leurs prestations. Socrate pratiquait un enseignement oral, basé sur le questionnement. Par le truchement de dialogues critiques avec ses interlocuteurs, il cherchait à dévoiler les contradictions susceptibles d'entacher leurs pensées afin de les guider vers une meilleure compréhension de concepts complexes : la justice, la vertu, le bien et la connaissance. Cette méthode dialectique est toujours utilisée dans l'enseignement et la pratique de la philosophie.
Voici une anecdote célèbre qui illustre la qualité de l'enseignement de Socrate, souvent considéré comme le père de l'éthique et de la philosophie morale.
Dans la Grèce antique, Socrate était réputé et loué pour son immense sagesse. Une de ses connaissances vint un jour à sa rencontre et lui dit :
– Socrate, sais-tu ce que je viens d’apprendre à propos de Diogène ?
– Un instant, répondit Socrate, avant de me raconter ça, tu dois passer un petit test. Je l’appelle le test à trois tamis. Le premier test est celui de la vérité : es-tu sûr que ce que tu t'apprêtes à me dire est vrai ?
– Non, en fait, j’en ai juste entendu parler.
– Bien, dit Socrate, tu ne sais donc pas si c’est vrai ou faux. Passons au deuxième tamis : celui de la bonté. Est-ce que ce que tu vas me dire au sujet de Diogène est une bonne chose ?
– Non, au contraire !
– Ainsi, poursuivit Socrate, tu t’apprêtes à me dire au sujet de Diogène quelque chose qui pourrait être mauvais alors que tu ne sais même pas si c’est vrai. Passons à présent au troisième tamis, celui de l’utilité. Est-ce que ce que tu vas me dire au sujet de Diogène peut m’être utile ?
– Utile ? Non, pas vraiment.
– Bien, conclut Socrate, si ce que tu veux me dire n’est ni vrai, ni bon, ni utile, je préfère ne pas le savoir, et quant à toi, je te conseille de l’oublier.
L’homme se trouva honteux et resta sans voix.
L'académie platonicienne d'Athènes et les innombrables contributions des philosophes qui y ont étudié ou enseigné ont posé les fondations de la pensée occidentale. Les idées débattues à l'époque de la Grèce Antique ont traversé les siècles et continuent d'influencer la philosophie, la science et la politique modernes. En étudiant leur héritage, nous pouvons mieux comprendre les origines de notre pensée et les principes qui sous-tendent le monde contemporain.
Les débats entre les théories de Platon et d'Aristote ont jeté les bases de deux doctrines philosophiques qui s'opposent : le rationalisme et l'empirisme. Pour Platon, il est infécond et réducteur de se fier à l'expérience sensible. Celle-ci ne peut révéler, selon lui, qu'une connaissance partielle, correspondant à la réalité sensible et fluctuante de notre monde, ce thème étant développé avec brio dans la célèbre Allégorie de la caverne. Seule la raison, s'appuyant sur des fondements mathématiques rationnels et sur l'utilisation de la logique, permet d'approcher le réel intelligible. À l'inverse, les empiristes soulignent l'importance de l'expérience sensorielle, affirmant que la connaissance du monde est rendue possible par la répétition méthodique d'observations et de mesures, afin de déterminer des lois générales par un raisonnement inductif, qui va du concret à l'abstrait.
Les réflexions de Platon, Socrate et Aristote sur l'éthique et la politique influencent les discussions actuelles à propos de la morale, de la justice et de l'équité au sein de nos sociétés. Ces idées anciennes, aussi riches que contradictoires, sont d'une surprenante modernité et sont toujours âprement débattues.
Les propositions des philosophes présocratiques, à l'instar de Thalès, visant à expliquer le monde de manière naturaliste ont considérablement inspiré nos méthodes scientifiques actuelles. Les idées d'Aristote sur la causalité et la nature des substances ont également laissé une empreinte durable sur la métaphysique et la philosophie des sciences.